Depuis 2018, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée Corse complète son suivi de la qualité des cours d'eau avec des organismes aquatiques exposés en cours d'eau : les gammares (gammarus fossarum).
Les gammares sont de petits crustacés d'eau douce. Leur utilisation dans le cadre de bioessais permet de mesurer la contamination chimique du milieu par bioaccumulation, mais également de mesurer l'effet de cette contamination par la mise en oeuvre de tests d'écotoxité.
Cette méthode de biosurveillance active, développée par les équipes d’écotoxicologie et de chimie de l'INRAE-Lyon consiste à sélectionner des organismes modèles, ici des individus mâles de taille homogène, et de les placer dans des chambres d’exposition (encagements) qui seront immergées dans les milieux aquatiques.
À l’issue d'une période d’exposition in situ de 21 jours, les organismes sont récupérés et conditionnés avant d'être analysés.
Les prélèvements sont réalisés sur 69 stations identifiées comme soumises à des pressions par les micropolluants sur le bassin Rhône-Méditerranée (cf. carte ci-dessous). L'échantillonnage est réalisé sur chacune des stations une année sur deux, à trois périodes différentes de l'année (début d'année, printemps, automne).
Aucun suivi n'est réalisé sur le bassin de Corse. En effet, l'espèce gammarus fossarum utilisée pour les encagements n'est pas endémique de l'île. Réaliser un suivi comporterait un risque de dissémination de cette espèce.
Les résultats présentés par la suite concernent les années d'exposition 2019 à 2022.
Des tests d'écotoxicité générale et spécifique (taux d'alimentation et neurotoxicité) ont été mis en oeuvre en routine à partir du début de l'année 2022, et permettront de mieux appréhender les effets de la contamination des milieux par les micropolluants dans un avenir proche.
Gammares encagés
Sur les 454 paramètres analysés sur les gammares entre 2019 et 2022, 170 substances chimiques ont été quantifiées.
Une interprétation de ces résultats est proposée par comparaison à des valeurs seuils de contamination biodisponible appelées BBAC (Bioavailable Background Assessment Concentration) pour soixante substances.
Ces BBAC correspondent à des valeurs de concentration au-dessus de laquelle une concentration mesurée chez les organismes exposés peut être interprétée comme une contamination d’origine anthropique.
La totalité des 60 paramètres pour lesquels des BBAC ont été déterminées présente au moins une fois un dépassement de cette valeur seuil.
Le graphique ci-dessous illustre le pourcentage de résultats d'analyses supérieurs à ce seuil par paramètre.
Cela reflète à la fois la présence de ces susbtances sur une large partie du bassin et la sensibilité des gammares à les accumuler.
Exemple de lecture du graphique : le PCB 105 a été analysé 249 fois. Il a été quantifié 184 fois à des concentrations supérieures à sa BBAC (0,13 µg/kg de poids sec), soit dans 74 % des analyses.
Les stations avec les plus forts taux de dépassement des seuils BBAC sont situées sur de petits cours d'eau draînant des zones densément peuplées (Eygoutier, Huveaune) ou sur des cours d'eau dont le bassin versant draîne d'anciennes ou actuelles zones industrielles (Drac, Savoureuse, Allan, Avène...).
Exemple de lecture du graphique : Sur la station du Drac à Fontaine 1, 297 analyses ont été réalisées entre 2019 et 2022 sur les 60 paramètres pour lesquels des valeurs de BBAC ont été déterminées. Sur ces 297 résultats d'analyses, 122 ont présenté des concentrations supérieures à leur seuil BBAC, soit 41 %.
Pourcentage de résultats d'analyses supérieurs aux BBAC :
Inférieur à 10 % : bleu
entre 10 % et 30 % : vert
Supérieur à 30 % : rouge
Pour mieux représenter et caractériser la contamination des cours d’eau, l'INRAE a développé un indice multi-substances permettant d’intégrer les concentrations observées dans les gammares encagés et ceci pour trois groupes ou familles de contaminants : les métaux, les HAP et les PCB.
Cet indice, appelé IBC (Indicator of Integrated Bioavailable Contamination) repose, pour tous les contaminants, sur les concentrations observées dans les organismes encagés qui dépassent la BBAC. Cette approche permet de graduer et de comparer de manière fiable les niveaux de contamination biodisponible dans les cours d'eau à l'échelle nationale.
Le niveau de contamination est illustré au travers des trois cartes ci-dessous. Le gradient de couleur indique la distribution de l'IBC par rapport à la gamme des concentrations observées au niveau national, à savoir :
Plusieurs stations du bassin Rhône-Méditerranée présente un indice IBC métallique élevé.
Cela indique qu'en plusieurs points du réseau hydrographique, les concentrations biodisponibles d'un ou plusieurs éléments métalliques sont supérieures aux valeurs obtenues sur la France entière. Toutefois, il faut noter que des valeurs élevées en métaux peuvent être associées aux caractéristiques physico-chimiques des cours d'eau, avec des eaux faiblement calciques. La physico-chime de l'eau, notamment le niveau calcique, joue en effet un rôle clé dans la biodisponibilité, et donc la bioaccumulation de plusieurs métaux comme le cadmium, le nickel et le plomb.
La carte ci-dessus confirme la forte imprégnation du bassin Rhône-Méditerranée par les HAP.
Par rapport au diagnostic posé par le suivi des HAP sur l'eau, cette carte montre une importante bioaccumulation de ces substances chez le gammare.
L'exposition de la faune aquatique à des milieux contaminés n'est pas sans conséquence.
Dans l'étude menée dans le cadre sa thèse, Florane Le Bihanic a montré que les embryons et larves de poissons se sont révélés particulièrement sensibles à ce type de polluants.
L’exposition des embryons à un milieu contaminé a provoqué des perturbations de l’expression de gènes impliqués dans le fonctionnement mitochondrial, le métabolisme de la vitamine A, la formation de dommages à l’ADN ainsi que la synthèse d’hormones. Parallèlement ces mélanges ont induit des effets tératogènes, des perturbations de l’activité natatoire et des effets génotoxiques.
Les stations qui présentent les plus fortes bioaccumulations de PCB par le gammare sont logiquement celles où les concentrations dans l'eau ou les concentrations dans les sédiments sont les plus importantes.
Compte-tenu de la toxicité avérée de ces substances, la France a décidé en 1987 d’interdire la vente, l’acquisition ou la mise sur le marché de produits et d’appareils contenant des PCB.
Cependant, compte tenu de leur faible biodégradabilité dans l'environnement, ces substances contamineront les milieux aquatiques durant encore de nombreuses années.