Depuis 2018, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée Corse complète son suivi de la qualité des cours d'eau avec des organismes aquatiques exposés en cours d'eau : les gammares (gammarus fossarum).
Les gammares sont de petits crustacés d'eau douce. Leur utilisation dans le cadre de bioessais permet de mesurer la contamination chimique du milieu par bioaccumulation, mais également de mesurer l'effet de cette contamination par la mise en oeuvre de tests d'écotoxité.
Cette méthode de biosurveillance active, développée par les équipes d’écotoxicologie et de chimie de l'INRAE-Lyon consiste à sélectionner des organismes modèles, ici des individus mâles de taille homogène, et de les placer dans des chambres d’exposition (encagements) qui seront installées directement dans le milieu.
À l’issue d'une période d’exposition in situ de 21 jours, les organismes sont récupérés et conditionnés avant d'être analysés.
L'échantillonage est réalisé à trois périodes différentes de l'année (début d'année, printemps, automne), sur 56 stations réparties sur le bassin Rhône-Méditerranée (cf. carte ci-dessous), dont une moitié est suivie chaque année.
Aucun suivi n'est réalisé sur le bassin de Corse. En effet, l'espèce gammarus fossarum utilisée pour les encagements n'est pas endémique de l'île. Réaliser un suivi comporterait un risque de dissémination de cette espèce.
Les résultats présentés par la suite concerne les années d'exposition 2018, 2019 et 2020.
Par conséquent, ce bilan comporte des stations échantillonées une seule année (3 périodes de suivi) alors que d'autres ont été échantillonnées deux années (6 périodes de suivi).
Des tests d'écotoxicité ont été mis en oeuvre en routine à partir du début de l'année 2022, et permettront de mieux appréhender les effets de la contamination des milieux par les micropolluants dans un avenir proche.
Gammares encagés
Les stations ont été choisies de manière à être réparties géographiquement sur le bassin Rhône Méditerranée et à être représentatives des différents types de cours d'eau rencontrés sur le bassin.
Aujourd'hui, sur les 256 paramètres analysés sur les gammares, plus d’une centaine de substances chimiques sont quantifiées avec des occurrences comprises entre 20 et 100 %.
Cette approche a permis de proposer des valeurs seuils de contamination biodisponible appelées BBAC (Bioavailable Background Assessment Concentration) pour une soixantaine de substances.
Ces BBAC correspondent à des valeurs de concentration au-dessus de laquelle une concentration mesurée chez les organismes exposés peut être interprétée comme une contamination d’origine anthropique.
Sur les 60 paramètres pour lesquels des BBAC ont été déterminées, seuls deux présentent des concentrations toujours inférieures à ces valeurs seuils :
Ces 2 substances appartiennent à la famille des Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP).
Le graphique ci-dessous illustre, pour les 58 substances quantifiées au moins une fois au delà des seuils BBAC, le pourcentage de résultats d'analyses supérieur à ce seuil.
L'histogramme illustre clairement une prédominance de dépassement des seuils BBAC pour les PolyChloroBiphényles (PCB).
Cela reflète à la fois la présence de ces susbtances sur une large partie du bassin et la sensibilité des gammares à les accumuler.
Exemple de lecture du graphique : le PCB 153 a été analysé 236 fois. Il a été quantifié 142 fois à des concentrations supérieures à sa BBAC (0,95 µg/kg de poids sec), soit dans 60 % des analyses.
Les stations avec le plus fort taux de dépassement des seuils BBAC sont situées sur les cours d'eau suivants :
Exemple de lecture du graphique : Sur la station de l'Avène à Saint-Privat-des-Vieux, 1147 analyses ont pu être réalisées sur les 256 paramètres analysés. Sur ces 1147 résultats d'analyses, 130 ont présenté des concentrations supérieures à leur seuil BBAC, soit 11,3 %.
Une cartographie des résultats sur l'ensemble de ces stations est présentées ci-dessous.
Pourcentage de résultats d'analyses supérieurs aux BBAC :
Inférieur à 4 % : bleu
entre 4 % et 8 % : vert
Supérieur à 8 % : rouge
Pour mieux représenter et caractériser la contamination des cours d’eau, l'INRAE a développé un indice multi-substances permettant d’intégrer les concentrations observées dans les gammares encagés et ceci pour trois groupes ou familles de contaminants : les métaux, les HAP et les PCB.
Cet indice, appelé IBC (Indicator of Integrated Bioavailable Contamination) repose, pour tous les contaminants, sur les concentrations observées dans les organismes encagés qui dépassent la BBAC. Les différences de gamme de concentrations observées entre substances sont intégrées en normalisant les concentrations observées par rapport à l’amplitude des concentrations documentée au niveau national.
Un grand nombre de stations du bassin Rhône-Méditerranée présente un indice IBC métallique élevé (en rouge).
Cela indique qu'en plusieurs points du réseau hydrographique, la biodisponibilité d'un ou plusieurs éléments métalliques est supérieure aux valeurs obtenues sur la France entière.
La carte ci-dessus confirme l'imprégnation généralisée du bassin par les HAP.
Par rapport au diagnostic posé par le suivi des HAP sur l'eau, cette carte montre une forte bioaccumulation de ces substances chez le gammare.
L'exposition de la faune aquatique à des milieux contaminés n'est pas sans conséquence.
Dans l'étude menée dans le cadre sa thèse, Florane Le Bihanic a montré que les embryons et larves de poissons se sont révélés particulièrement sensibles à ce type de polluants.
L’exposition des embryons à un milieu contaminé a provoqué des perturbations de l’expression de gènes impliqués dans le fonctionnement mitochondrial, le métabolisme de la vitamine A, la formation de dommages à l’ADN ainsi que la synthèse d’hormones. Parallèlement ces mélanges ont induit des effets tératogènes, des perturbations de l’activité natatoire et des effets génotoxiques.
Les stations qui présentent les plus fortes bioaccumulations de PCB par le gammare sont logiquement celles où les concentrations dans l'eau ou les concentrations dans les sédiments sont les plus importantes.
Compte-tenu de la toxicité avérée de ces substances, la France a décidé en 1987 d’interdire la vente, l’acquisition ou la mise sur le marché de produits et d’appareils contenant des PCB.
Cependant, compte tenu de leur faible biodégradabilité dans l'environnement, ces substances contamineront les milieux aquatiques durant encore de nombreuses années.